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J'ai trois cellulaires. Oui, trois !
Mon premier, bleu, me relie à mon chum, à mes amis proches (Lili, Zoé, Julianne et Elly), à mes parents. Il est ouvert les soirs et les fins de semaine. Et si mon entourage veut me rejoindre durant mes heures de bureau, j'ai mon propre poste de téléphone au travail. Je le trimballe fièrement dans mon sac à main et l'exhibe à tout bout de champ - il s'agit d'un modèle très classe, un cadeau de Nate.
Mon deuxième, noir, me relie à ma boss - cette chère Félicia - et à la plupart de mes collègues de bureau. Il est dédié aux urgences-boulot. Il est pratiquement ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, mais ne vous en faites pas : ma patronne n'est pas une émule de Miranda Priestly (le fameux bourreau du Diable s'habille en Prada). Il ne sert que rarement, et remplace parfois mon bleu (quand les piles de ce dernier sont mortes).
Enfin, mon troisième, rouge. Un vieux modèle, énorme, écaillé, avec un autocollant d'araignée collé de guiguois sur son couvercle. Nathan connaît son existence, mais ignore sa fonction, contrairement à Lili, qui me regarde de travers à chaque fois que je l'utilise. Je le cache dans une poche intérieure de ma veste préférée, à l'abris des regards. Je ne le ferme jamais, et passe souvent de longues heures à l'admirer, à le flatter. Ce cellulaire, que j'aime plus que tout, me rattache à mon âme soeur... Je l'ai reçu par la poste, il y a de cela deux-trois ans. Dans une grande enveloppe, protégé par un sachet en plastique avec des bulles (celles que je m'amusais inlassablement à faire éclater lorsque j'étais enfant). Aucun mot d'accompagnement. Un numéro de téléphone déjà enrégistré. J'appelai, curieuse.
Une voix incroyable me répondit. Une voix où l'on devinait un sourire.
- Déjà reçu le cellulaire ?
- On dirait bien. J'hésitai, puis décidai d'opter pour la plaisanterie ; prêcher le faux pour savoir le vrai. Pourquoi ce cadeau ? Tu as des choses à cacher à Gabrielle ? Te chercherais-tu une maîtresse par hasard ? Brune et un peu boulotte ?
- Non, non. Pas du tout. Il ne semblait nullement gêné ou embarassé. C'est symbolique. Une sorte de pacte d'amitié. Que même si nous n'habitons plus la même ville depuis belle lurette, nous demeurons connectés. Notre amitié subsiste.
Je ricanai.
- Je ne te savais pas si romantique !
- Moi non plus. Et si tu veux savoir, je m'en suis acheté un. Identique en tous points.
- Eh bien... Tu m'en vois touchée. J'espère seulement qu'ils ne briseront pas au bout d'un ou deux mois !
- Non. Ils ne briseront pas. Je leur ai jeté un sort. J'entendis un bruit de fond, comme une voix enfantine ; je devinai qu'il s'agissait de Cassie, la fille de Gabrielle. Je dois te laisser. À plus !
- À plus ! J'attends impatiemment tes coups de fil !
Ce même téléphone, je le caresse présentement du bout des doigts, le cajôle. Il a été témoin de nombreuses conversations interminables - au moins deux par semaine. À chacune de ses sonneries, je cours me cacher au café du coin, ou dans une binnerie quelconque. Ce qui se dit, dans ces moments-là, est privé. Ni Nate, ni Lili ne sauront le contenu des conversations qui auront été échangées avec ce cellulaire rouge. Même si mes propos auront été badins, complètement dépourvus de la moindre trace de flirt. Ne me demandez pas pourquoi. Je crois que je ne veux pas me l'avouer à moi-même...
Morgane B